Le commerce et la circulation des produits dangereux font l’objet d’une réglementation stricte en France et à l’échelle internationale. Ces restrictions visent à protéger la santé publique, l’environnement et la sécurité des consommateurs face à des substances ou produits dont les risques sont avérés. Le cadre juridique entourant ces interdictions s’est considérablement renforcé au fil des décennies, sous l’impulsion de scandales sanitaires majeurs et d’une prise de conscience collective des dangers liés à certaines substances chimiques. Cette réglementation, en constante évolution, s’adapte aux nouvelles connaissances scientifiques et aux défis émergents, tout en cherchant un équilibre entre protection du public et réalités économiques.
Fondements juridiques de l’interdiction des produits dangereux
La réglementation des produits dangereux s’inscrit dans un cadre normatif complexe qui se déploie à plusieurs échelons. Au niveau européen, le règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals) constitue la pierre angulaire du dispositif juridique. Adopté en 2006 et entré en vigueur en 2007, ce texte impose aux entreprises d’identifier et de gérer les risques liés aux substances qu’elles fabriquent ou importent dans l’Union européenne. Pour les substances les plus préoccupantes, REACH prévoit des mécanismes d’autorisation et de restriction pouvant aller jusqu’à l’interdiction pure et simple.
En complément de REACH, le règlement CLP (Classification, Labelling and Packaging) harmonise la classification et l’étiquetage des substances et mélanges dangereux. Cette réglementation garantit que les dangers que présentent les produits chimiques soient clairement communiqués aux travailleurs et aux consommateurs par un étiquetage approprié.
En droit français, le Code de la consommation et le Code de la santé publique contiennent des dispositions spécifiques relatives aux produits dangereux. L’article L.421-3 du Code de la consommation énonce ainsi le principe selon lequel « les produits et les services doivent présenter, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ».
Processus d’interdiction d’un produit
Le processus d’interdiction d’un produit dangereux suit généralement plusieurs étapes :
- Identification des risques par les autorités sanitaires ou environnementales
- Évaluation scientifique des dangers et des expositions
- Consultation des parties prenantes (industriels, associations, etc.)
- Décision administrative ou législative d’interdiction
- Mise en œuvre de mesures transitoires
La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) joue un rôle majeur dans ce dispositif. Elle assure une mission de veille et de contrôle sur les produits mis sur le marché. En cas de danger grave ou immédiat, elle peut ordonner des mesures d’urgence, comme le retrait ou le rappel de produits, voire leur destruction.
Le principe de précaution, consacré par la Charte de l’environnement et intégré au bloc de constitutionnalité français depuis 2005, vient renforcer cette architecture juridique. Il permet aux autorités publiques de prendre des mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation d’un dommage, même en l’absence de certitude scientifique absolue quant aux risques encourus.
Substances chimiques interdites : cas emblématiques et évolution
L’histoire des interdictions de substances chimiques est jalonnée de cas emblématiques qui ont souvent fait suite à des catastrophes sanitaires ou environnementales. Le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), puissant insecticide utilisé massivement après la Seconde Guerre mondiale, fut l’un des premiers produits à faire l’objet d’une interdiction généralisée dans les années 1970, après la mise en évidence de ses effets délétères sur la faune sauvage et les soupçons concernant sa toxicité pour l’homme.
Les PCB (polychlorobiphényles), utilisés comme isolants dans les transformateurs électriques et comme additifs dans diverses applications industrielles, ont connu un sort similaire. Leur persistance dans l’environnement et leur bioaccumulation dans les chaînes alimentaires ont conduit à leur interdiction progressive à partir des années 1980. En France, l’arrêté du 8 juillet 1975 a interdit l’usage des PCB dans les applications ouvertes, puis le décret du 2 février 1987 a étendu cette interdiction à la vente et l’acquisition d’appareils contenant ces substances.
Plus récemment, l’amiante constitue un exemple particulièrement significatif. Ce matériau aux propriétés ignifuges exceptionnelles a été massivement utilisé dans la construction avant que son caractère hautement cancérigène ne soit formellement établi. En France, le décret n°96-1133 du 24 décembre 1996 a prononcé l’interdiction totale de l’amiante, marquant l’aboutissement d’un long combat des associations de victimes et des lanceurs d’alerte.
Évolutions récentes et substances émergentes
Ces dernières années, l’attention s’est portée sur de nouvelles familles de substances préoccupantes :
- Les phtalates utilisés comme plastifiants dans les jouets et articles de puériculture
- Les bisphénols présents dans certains plastiques et résines
- Les composés perfluorés utilisés pour leurs propriétés antiadhésives et imperméabilisantes
- Certains retardateurs de flamme bromés ajoutés aux textiles et appareils électroniques
Le cas du bisphénol A (BPA) est particulièrement instructif. Cette substance utilisée dans la fabrication de plastiques polycarbonates et de résines époxydes a été identifiée comme un perturbateur endocrinien. La loi n°2010-729 du 30 juin 2010, modifiée par la loi n°2012-1442 du 24 décembre 2012, a interdit la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du BPA. Cette interdiction, d’abord limitée aux biberons, a ensuite été étendue à l’ensemble des contenants alimentaires.
La mise en œuvre du règlement REACH a accéléré l’identification et la restriction des substances préoccupantes. La liste des substances extrêmement préoccupantes (SVHC – Substances of Very High Concern) ne cesse de s’allonger, incluant désormais plus de 200 substances candidates à l’autorisation ou à la restriction. Cette dynamique témoigne d’une vigilance accrue des autorités face aux risques chimiques et d’une volonté de substitution progressive des substances les plus dangereuses.
Réglementation des produits de consommation dangereux
Au-delà des substances chimiques pures, de nombreux produits de consommation font l’objet de restrictions ou d’interdictions en raison des dangers qu’ils présentent pour les utilisateurs. Cette réglementation s’applique à des catégories variées, allant des jouets aux cosmétiques, en passant par les équipements électroniques et les produits alimentaires.
Les jouets constituent un domaine particulièrement sensible en raison de la vulnérabilité du public concerné. La directive 2009/48/CE relative à la sécurité des jouets, transposée en droit français, impose des exigences strictes concernant les propriétés physiques et mécaniques, l’inflammabilité et les propriétés chimiques des jouets. Elle interdit notamment l’utilisation de substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) dans les parties accessibles des jouets. Des limites de migration sont établies pour certains éléments comme le plomb, le mercure ou le cadmium.
Dans le domaine des cosmétiques, le règlement européen n°1223/2009 établit une liste négative de plus de 1300 substances interdites (annexe II) et des listes de substances soumises à restriction (annexe III) ou autorisées uniquement pour certains usages spécifiques (annexes IV à VI). Par exemple, l’hydroquinone, autrefois utilisée dans certains produits éclaircissants pour la peau, est désormais interdite dans les produits cosmétiques en raison de ses effets potentiellement cancérigènes.
Les produits biocides, destinés à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, font l’objet d’un encadrement spécifique par le règlement (UE) n°528/2012. Ce texte prévoit un système d’autorisation des substances actives au niveau européen et des produits biocides au niveau national. Plusieurs substances actives ont ainsi été interdites, comme le tributylétain (TBT) utilisé dans les peintures antisalissures pour bateaux, en raison de ses effets néfastes sur les écosystèmes marins.
Cas particulier des produits alimentaires
Les additifs alimentaires font l’objet d’une réglementation particulièrement stricte. Le règlement (CE) n°1333/2008 établit une liste positive des additifs autorisés et précise leurs conditions d’utilisation. Certains colorants comme le Rouge 2G (E128) ont été retirés de cette liste suite à la réévaluation de leur innocuité. De même, certains additifs comme le dioxyde de titane (E171), utilisé comme colorant blanc, ont récemment fait l’objet de suspensions d’utilisation dans l’alimentation en France (arrêté du 17 avril 2019).
Les matériaux au contact des denrées alimentaires sont eux aussi soumis à des exigences spécifiques. Le règlement (CE) n°1935/2004 pose le principe selon lequel ces matériaux ne doivent pas céder aux aliments des constituants en quantité susceptible de présenter un danger pour la santé humaine. Sur cette base, plusieurs substances utilisées dans les emballages alimentaires ont été interdites, comme certains phtalates ou le bisphénol A mentionné précédemment.
La Loi EGAlim (loi n°2018-938 du 30 octobre 2018) a renforcé cet arsenal en interdisant l’utilisation de contenants alimentaires en plastique dans la restauration scolaire et universitaire à l’horizon 2025, et en prohibant plusieurs produits en plastique à usage unique comme les pailles, les couverts jetables ou les touillettes à partir du 1er janvier 2020.
Dimension internationale et enjeux transfrontaliers
La réglementation des produits dangereux ne peut se concevoir uniquement à l’échelle nationale, tant les enjeux dépassent les frontières. Plusieurs conventions internationales encadrent la circulation de ces produits et substances, à commencer par la Convention de Rotterdam (1998) sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet du commerce international. Cette convention instaure un mécanisme contraignant de notification et d’autorisation préalable pour l’exportation de substances particulièrement dangereuses.
La Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (2001) vise quant à elle à éliminer ou restreindre la production et l’utilisation de substances caractérisées par leur persistance dans l’environnement, leur bioaccumulation, leur transport sur de longues distances et leurs effets nocifs sur la santé humaine et l’environnement. Initialement centrée sur 12 substances (les « 12 salopards »), cette convention a progressivement étendu son champ d’application à d’autres molécules comme les polybromodiphényléthers (PBDE) ou l’acide perfluorooctane sulfonique (PFOS).
La Convention de Minamata sur le mercure (2013) constitue un autre instrument majeur du droit international de l’environnement. Elle vise à protéger la santé humaine et l’environnement contre les émissions et rejets anthropiques de mercure et de composés du mercure. Elle prévoit l’interdiction progressive de nombreux produits contenant du mercure ajouté, comme certains types de piles, lampes, cosmétiques ou appareils de mesure.
Problématiques émergentes et défis de mise en œuvre
Malgré ces avancées normatives, plusieurs défis persistent :
- La disparité des réglementations entre pays développés et pays en développement
- Le commerce illicite de produits interdits
- La délocalisation des risques vers des pays aux normes moins strictes
- L’effet cocktail résultant de l’exposition simultanée à plusieurs substances
Le phénomène de délocalisation des risques est particulièrement préoccupant. L’interdiction de certaines substances dans les pays développés peut conduire à leur utilisation accrue dans des pays aux réglementations moins contraignantes, créant ainsi des « havres de pollution ». Ce phénomène concerne notamment le recyclage de déchets électroniques ou le démantèlement de navires en fin de vie, activités qui exposent les travailleurs des pays en développement à des substances hautement toxiques comme l’amiante, les PCB ou les métaux lourds.
La question des nanomatériaux constitue un défi émergent. Ces matériaux aux propriétés inédites suscitent des interrogations quant à leurs effets sur la santé et l’environnement. Le règlement REACH a été adapté pour mieux prendre en compte leurs spécificités, mais l’évaluation de leurs risques reste complexe en raison de leur diversité et du manque de méthodes standardisées.
Enfin, la problématique des perturbateurs endocriniens illustre les limites des approches réglementaires classiques. Ces substances, qui interfèrent avec le système hormonal, peuvent avoir des effets à des doses extrêmement faibles, remettant en question le principe selon lequel « c’est la dose qui fait le poison ». Leur identification et leur réglementation font l’objet de débats scientifiques et politiques intenses au niveau européen et international.
Vers une approche préventive et des alternatives sûres
Face aux défis posés par les produits dangereux, une transition s’opère progressivement d’une approche réactive, consistant à interdire les substances après constatation de leurs effets néfastes, vers une démarche plus préventive fondée sur le principe de précaution et l’anticipation des risques.
La chimie verte incarne cette nouvelle philosophie. Ses douze principes, formulés par les chimistes Paul Anastas et John Warner en 1998, visent à concevoir des produits et des procédés chimiques réduisant ou éliminant l’utilisation et la génération de substances dangereuses. Cette approche privilégie notamment l’économie d’atomes, l’utilisation de solvants et auxiliaires plus sûrs, la conception de produits chimiques moins toxiques et la réduction des déchets.
Le concept de substitution occupe une place centrale dans cette démarche. Il s’agit de remplacer les substances préoccupantes par des alternatives plus sûres présentant des fonctionnalités équivalentes. Le règlement REACH intègre cette notion à travers le principe de « substitution obligatoire » qui impose, lorsqu’une alternative appropriée existe, le remplacement des substances extrêmement préoccupantes par des substances ou technologies moins dangereuses.
Des initiatives comme le programme SUBSPORT (Substitution Support Portal) facilitent cette démarche en proposant une base de données d’alternatives aux substances dangereuses, des études de cas et des outils méthodologiques pour évaluer les options de substitution. De même, le réseau RISE (Réseau d’Identification et de Substitution des substances chimiques préoccupantes) accompagne les entreprises françaises dans leurs démarches de substitution.
Rôle des acteurs économiques et des consommateurs
La transition vers des produits plus sûrs implique l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur :
- Les fabricants qui conçoivent les produits et sélectionnent les matériaux
- Les distributeurs qui peuvent orienter leur offre vers des produits plus respectueux de la santé et de l’environnement
- Les consommateurs dont les choix d’achat constituent un levier d’action majeur
- Les pouvoirs publics qui fixent le cadre réglementaire et peuvent encourager les bonnes pratiques
Des outils comme l’écolabel européen ou le label « Zéro Résidu de Pesticides » permettent aux consommateurs d’identifier les produits répondant à des critères environnementaux et sanitaires exigeants. De même, des applications comme Yuka ou QuelCosmetic facilitent l’accès à l’information sur la composition des produits et leurs potentiels impacts sur la santé.
Les marchés publics constituent un puissant levier pour promouvoir des alternatives aux produits dangereux. La directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics permet aux acheteurs publics d’intégrer des considérations environnementales dans leurs cahiers des charges, favorisant ainsi l’émergence et la diffusion de produits plus sûrs.
En définitive, la question des produits dangereux interdits s’inscrit dans une réflexion plus large sur notre modèle de production et de consommation. Au-delà des approches réglementaires, c’est vers une transformation profonde de notre rapport aux substances chimiques et aux matériaux que nous devons tendre, en privilégiant la prévention des risques à la source et en adoptant une vision systémique des enjeux sanitaires et environnementaux.